C’est avec curiosité que j’ai écouté le reportage « La poubelle province » à Radio-Canada. Apparemment, je suis en retard, car depuis 2012, on me dit que j’aurais dû le voir. Pas mal comme reportage : une belle recherche sur les faits, mais avec un ton démagogique à souhait.
Vous pouvez bien marteler les « 4 barons des ordures » autant que vous voulez ! Mais que dire des 8 millions de petits « pushers » de poubelles ? Prenons ça sous n’importe quel angle : pour soutenir des barons, qu’ils soient dans la drogue ou dans les déchets, il faut un vaste réseau de « pushers ».

Un petit vendredi dans une banlieue pas si différente de la vôtre…
Un drame se joue dans mon quartier : c’est le rituel jour des vidanges. Des bacs qui débordent, des bacs de recyclage remplis de matières mélangées pêle-mêle, et des objets qui devraient plutôt aller à l’écocentre. Ma famille ne s’en sort pas trop mal, en fait : un bac de 240 litres de déchets tous les deux mois.
Mais…
Un ancien voisin m’a déjà confié, dans la quarantaine, qu’à cet âge, on ne se refait pas. Pour lui, le recyclage, ce n’est pas son truc. Triste de le voir vieillir prématurément. Moi aussi, j’ai été dans la quarantaine, mais j’ai choisi une autre voie.
Et mon voisin de droite ? L’été dernier, il a subitement trouvé que mon composteur sentait mauvais. Pourtant, il est là depuis 2004, et personne ne s’en était plaint avant. Aurait-il succombé aux discours « pas dans ma cour » relayés dans les médias ?
Faites ce que vous voulez, moi, je ne change pas. Sans être un extrémiste ou un activiste, je crois être sur la bonne voie. Ça m’a pris 10 ans pour en arriver là, et j’ose espérer que je ne suis pas le seul.
Ça prend 8 millions de « pushers » de vidanges pour soutenir 4 barons des ordures. Le saviez-vous ?
Servir les besoins de 8 millions de personnes, ça implique un système bien rodé :
  • Des entreprises spécialisées exportent à bas coût le recyclage mal trié en Asie.
  • Les centres de tri, eux, réduisent leurs coûts au maximum pour vendre des matières mal triées à moindre prix.
  • Les lieux d’enfouissement, efficaces et bon marché, stockent ce qui reste.
  • Les 4 barons, bien appuyés, remportent les appels d’offres en offrant les prix les plus bas.
  • Les municipalités, elles, lancent ces appels d’offres en misant sur le principe que servir le public, c’est minimiser les coûts. Ça plaît aux élus qui promettent des taxes basses pour se faire élire.
Tout ça pour répondre à une demande collective : « Que ça disparaisse de ma vue, vite, sans changer mes habitudes, loin de chez moi et à petit prix. »
Et si les 4 barons des ordures ne faisaient que répondre à votre besoin ? Que se passerait-il si ce besoin changeait ?
Volonté individuelle et collective
Votre volonté individuelle compte. Oui, certains auront un centre de tri, une usine de biométhanisation ou un site de compostage près de chez eux. Arrêtez de déchirer vos chemises, les activistes ! Trier à la source ou respecter la consigne prend du temps, c’est vrai. Exiger mieux des producteurs fera grimper les coûts des biens de consommation. Mais c’est essentiel pour changer le système.
Selon RECYC-QUÉBEC, dans son rapport Gestion des matières résiduelles au Québec (2022), seulement 52 % des matières recyclables générées par les ménages québécois sont effectivement récupérées. Le reste ? Enfoui ou mal trié. Ce constat montre que la volonté individuelle peut faire une différence, mais elle doit s’accompagner d’une volonté collective.
Cette volonté collective poussera vos élus à agir :
  • Abandonner la règle du plus bas soumissionnaire ou rehausser les critères des appels d’offres.
  • Accepter des coûts plus élevés pour maximiser les 3RV (réduction, réemploi, recyclage et valorisation).
Et moi, un des 4 barons ?
Si le besoin change, que ferai-je ? Les entreprises privées existent pour répondre à une demande. Voici ce qui pourrait se passer :
  • Les compagnies de transport international ajusteront leurs routes, privilégiant des chemins courts, car la qualité des matières recyclées aura augmenté pour répondre à des normes locales.
  • Les centres de tri amélioreront leurs performances, car des appels d’offres plus exigeants leur permettront d’obtenir de meilleurs revenus.
  • Les camions de vidange deviendront des camions de recyclage : moins d’enfouissement, mais autant de logistique.
  • Les gagnants des appels d’offres seront ceux qui répondront à ce nouveau besoin.
La plupart des barons s’adapteront. Sur quoi je me base ? J’ai discuté avec certains de leurs dirigeants. Ils sont intelligents, veulent continuer à faire de l’argent, assurer la pérennité de leurs entreprises et améliorer leurs pratiques. Une petite minorité, certes, a peur et résiste au changement. Mais dans un système capitaliste, si tu ne t’adaptes pas, tu deviens une proie. Parlez-en aux fabricants de cassettes audio, de Béta, de VHS ou de Polaroid.
Pour conclure
Tout cela est facile à dire, mais ça prendra des années. Aux activistes, méditez cette pensée de Sylvain Bériault : « …la réalité est bien plus passionnante que le nombrilisme futile de bien des activistes idéalistes. » Aux 8 millions de « pushers » de vidanges, changez vos habitudes et faites des demandes à vos élus. Graduellement, les 4 barons des ordures deviendront 4 barons du recyclage.
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6 thoughts on “8 millions de petits pushers de vidanges

  1. Bravo !

    Pour l’article et pour le titre " 8 millions de petits pushers de vidanges"! Tu as tout à fait raison, c’est les petits puschers qui font les choux gras des Barons et ce dans tous les secteurs !!!
    Si tous les citoyens se voyaient comme des petits puschers du recyclage, ce serait génial !

  2. Bravo pour avoir reconnu qu’il était permis de faire des profits pour offrir des services environnementaux.

    Les gens ne savent pas tous ce que les entreprises ( barons) doivents respecter comme règles aux niveaux environnemental et santé sécurité avant même d’avoir commencé la collecte et le tri des matières.

    La culture des entreprises de service environementaux évolue rapidement… plus vite que celle des citoyens. Si ce n’est pas nos enfants qui auront un monde meilleur, ça sera nos petits enfants.

    Un père de famille de 50 ans, travaillant fièrement depuis 24 ans pour l’environnement et les profits.

  3. Ça me rappelle un article d’une chroniqueuse de cyberpresse. Elle se plaignait du trafic. Un blogueur a commenté ainsi: «Vous n’êtes pas dans le trafic. Vous ÊTES le trafic»…

  4. C’est dans la nature humaine de reporter la responsabilité de nos actions ou inactions déplorables sur le plus petit nombre possible d’individus à blamer. Un terme adéquat pour les désigner est le "Bouc émissaire". Ceci nous conforte collectivement dans notre perception d’être "correct" dans nos comportements, donc de n’avoir rien à changer, c’est insécurisant le changement et perturbant. Nous avons ce comportement dans tous les domaines, pensons à la commission Charbonneau !

    Excellente analyse de très grande qualité, que fait-on maintenant qui prenne ation dans la bonne direction ?

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